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Ma mère, cette héroïne

Mes petites mains enveloppées d’un tissu soyeux s'activent. Sous mes doigts engourdis, le bonhomme de neige prend forme. Un nuage se forme devant ma bouche entrouverte quand je respire. Mon nez rougi me pique. Je lève régulièrement la tête vers toi, qui irradies de bonheur. Tu es très concentrée à la tâche. Je t’admire, je te trouve magnifique. Tu es mon modèle, celle à qui je veux ressembler. Soudain, tu m’envoies une boule de neige glacée à la figure. J’éclate de rire, toi aussi. Nous nous tournons vers papa qui nous observe derrière la fenêtre, une tasse de café fumante à la main. Tu lui en balances une à travers la vitre gelée. Je rigole à n’en plus finir, tu me prends dans tes bras et me fais tournoyer au milieu de ce paysage blanc. Je voudrais que tous les jours soient comme celui-ci. Tu me manques, Maman.

- Abby ?

Je repose mon stylo, celui avec un pompon doré. Celui qu’elle m’avait offert pour ma rentrée en CE1. Je me rends compte que j’étais en train de sourire à travers mes larmes en écrivant. La douloureuse réalité revient.

J’aimerais me replonger dans ce souvenir, mais la voix insistante de papa me parvient à nouveau :

- Abby ? Tu viens manger ?

Je lui réponds d’une voix qui se veut assurée.

- J’arrive.

J’essuie mes larmes d’un revers de la main, me redresse et enfouis mon carnet sous mon oreiller - je n'ai pas trouvé meilleure cachette.

J’observe mon visage dans le miroir de la salle de bain, m’arrose avec un peu d’eau. C’est mieux. Et puis je descends, ne cherchant même plus à cacher mon désespoir. Prête à affronter le silence lourd de sens qui règne à présent dans la maison.


***


Je suis blottie contre toi, tu m’entoures de tes bras protecteurs. La tête posée contre ton cœur, j’observe l'horizon et le soleil qui décline. Ton souffle délicat fait trembler mes cheveux. Une brise légère se lève et fait tournoyer les grains de sable autour de nous. Papa t’enlace, tu le regardes d’un sourire amoureux. Les vagues de la mer déferlent sur le rivage à quelques mètres de nous tandis que la lumière s’obscurcit. Je ferme les yeux, la chaleur de ton corps m’apaise. Un sourire fait remonter mes petites joues. A cet instant, j’ai l’impression que rien ne pourra jamais nous arriver.

Je me trompe.

Tu me manques, maman.


Un sanglot parcourt mon corps tremblant.

Parfois, j’ai l’impression que ces souvenirs ne font que remuer la douleur en moi. Mais au fond, je sais que ça me fait du bien.

Je lève les yeux vers la fenêtre à ma gauche. Une pluie battante frappe les carreaux. Du coin de l'œil je regarde mon portable qui indique 2h27. Je devrais dormir à cette heure-là. Mais je n’y arrive pas. Elle me manque trop.

La vie est tellement injuste.


***


Nous marchons d’un pas décidé droit devant nous. Tes talons frappent le sol avec entrain. Nous nous dirigeons vers le manège qui illumine la place. Aujourd’hui, c’est ma journée, tu me l’as annoncé avec certitude ce matin. Nous avons réalisé toutes sortes d’activités choisies par mes soins, et tu m’as suivie dans tous mes choix. Le manège vient clore cette magnifique journée. Ta main serre la mienne avec douceur. Tes cheveux ondulés volent autour de toi et de ton écharpe bordeaux. Tu me jettes un regard plein de tendresse et un sourire qui réchauffe mon cœur. Mes yeux brillent de joie. Tu es la meilleure maman du monde, ça ne fait aucun doute.

Tu me manques, maman.


Des fois, j’ai envie de tout casser, de hurler à la terre entière cette injustice et cette tristesse qui ont envahi ma vie de manière si soudaine. C’était la mère la plus incroyable, la personne la plus gentille que je connaisse. Ce n’est pas juste. Vraiment pas juste.

Quand je vois des enfants avec leur maman, heureux, dont le regard brille de fierté et d'admiration, j’ai envie de leur cracher toute ma haine et mon désespoir.

Où es-tu, ma petite maman ?


***


Il fait beau. Nous sommes assises toutes les deux sur un banc. Autour de nous, la nature chante, le feuillage des arbres bruisse doucement. Le soleil nous réchauffe de ses doux rayons. Nous savourons les pâtisseries que tu nous as achetées pour ce goûter “entre filles” comme tu m’as dit. Tu aimes me consacrer des moments rien qu’avec toi et je t’en suis reconnaissante. Ces moments-là sont très précieux à mes yeux. Ma bouche est recouverte de chocolat, ce qui te fait éclater de rire. Tu m'appliques délicatement une touche de chantilly sur le nez et en fais de même pour toi. Puis nous observons la vie qui règne dans ce parc, autour de nous. Mes petites jambes ne touchent même pas le sol et remuent frénétiquement.

Tu me manques, maman.


Assise sur ce même banc, huit ans plus tard, les souvenirs reviennent et déferlent sur moi. J’ai l’impression de sentir son odeur et d’entendre son rire dans le bruissement du feuillage. Son rire. Qu’est-ce qu’il me manque.

Un rire qui claquait et arrivait sans crier gare, un rire qui vous donnait envie de croquer la vie à pleines dents et faisait inévitablement remonter les coins de votre bouche. Un rire qui réchauffait mon cœur et me disait que la vie était belle, et que rien ne pouvait venir la gâcher.

Qu’est-ce que j’ai pu être idiote. J’aurai dû en profiter tant qu’il était encore temps.

Mais maintenant c’est trop tard.

Assise sur ce banc, les larmes coulent comme deux torrents sur mes joues. Je me replie sur moi-même, m’accrochant de toutes mes forces au petit carnet qui ne me quitte plus désormais. Ce petit carnet qui me fait penser à elle et qui la fera revivre pour toujours. Je ne veux pas y croire. Comment cela a-t-il pu lui arriver ?


***


Mes petites mains s’enfoncent dans la pâte collante et la malaxent consciencieusement. Je fronce les sourcils, très concentrée à la tâche. Près de moi, tu me donnes des conseils pour mieux faire, et m’indiques la suite de la recette. De ma place d’enfant, je te trouve incroyablement douée. Tu remontes mes manches et resserres mes couettes. Tes cheveux sont noués d’un chouchou mauve à fleurs, celui que j’aime tant. Ton doigt vernis parcourt la recette de cuisine avec habileté. Papa entre dans la pièce et chipe un morceau de fromage. Tu le grondes gentiment en lui intimant de sortir. Mon rire léger de petite fille emplit la pièce. Je ne le sais pas encore, mais ces moments resteront à jamais gravés dans mon cœur.

Tu me manques, maman.


Papa ne comprend pas ma démarche. Il est tombé sur mon cahier alors que je l’ai laissé traîner par mégarde dans ma chambre. Quand je suis sortie de la douche, il était assis sur mon lit, en pleine lecture. Il a levé les yeux vers moi. Il essayait de ne rien laisser paraître, mais j’ai bien vu qu’il était touché et se retenait pour ne pas pleurer.

Je ne peux pas lui en vouloir. Il s’inquiète beaucoup pour moi et tente de me cacher sa tristesse.

Il a ouvert la bouche, l’a refermée. Pendant quelques minutes, aucun de nous n’a parlé. Il a finalement brisé le silence :

- Abby, pourquoi tu fais ça ?

Il ne comprend pas. Grâce à ces souvenirs que je note précieusement, maman revit. Je m’évade à travers eux, ils me font sortir de mon quotidien morose et dénué de sens depuis qu’elle n’est plus là. Elle mérite qu’on pense à elle. Je n’ai pas le choix. Je dois continuer d’écrire. Pour elle, comme pour moi.


***


Je sors de la classe, mon cartable tout rose sur les épaules. Je cours vers le portail, j’ai hâte de te retrouver. Je guette dans la foule ton visage d’ange au milieu de tous ces inconnus. Puis je te trouve enfin. Tu me souris, tu ne regardes que moi. J’accélère et fonce me réfugier dans tes bras grand ouverts, prêts à m’accueillir. Tu me prends la main, tu me demandes comment s’est passée ma journée. Tu m’écoutes attentivement, tu t'intéresses vraiment à mon récit. C’est mon moment préféré de la journée. Le moment où je te retrouve.

Tu me manques, maman.


Je ne dors pas depuis des mois. Le temps semble s’allonger, s’étirer tout en longueur.

Pourtant, ça fait longtemps qu’elle n’est plus là.

Je n’arrive pas à y croire.

Je ne veux pas y croire.


***


Je sors du restaurant où je viens de passer 3 jours de stage. Je suis fatiguée, j’ai hâte de vous retrouver à la maison, papa et toi. J’avance sur le trottoir, et en face je te vois.

Tu m’attendais.

Toujours présente dans ces grands moments de la vie. Je suis tellement heureuse de te revoir. Je te rejoins de l’autre côté de la rue et tu m’embrasses fort. Tu prends mon visage entre tes mains et tu me murmures : “ Ma grande fille. ”

Tu es fière de moi, ça se lit dans ton regard. Moi aussi, je suis fière de toi.

Tu me manques, maman.


Ce morbide samedi soir me hante chaque jour.

Tu étais partie m’acheter un cadeau. Nous t’avons attendue toute la soirée dans le canapé. Puis nous avons entendu frapper à la porte, papa s’est rué dans l’entrée.

Je l’ai rejoint et j’ai entendu des bribes : “accident… morte sur le coup…”

Et puis ces quatre mots qui ont fait basculer ma vie :

“ C’est fini. Désolé…”

Mais non, ce n’est pas fini. Elle est là, à chaque instant dans notre cœur. A chaque trait de mon visage. A chaque coin de cette maison. Elle y est et elle y restera.

Je ne l’abandonnerai pas.


***


Je referme d’une main tremblante le petit cahier mauve. Sa couleur préférée.

Je viens de le relire en entier. Pourtant, je ne pleure plus.

Papa m’observe du coin de l'œil, à quelques mètres de moi.

Je crois que ça y est.

J’ai tiré un trait.

J’ai raconté en détails tous les souvenirs que j’avais d’elle, je me suis replongée dans notre vie ensemble, tous les trois. Tous ces petits moments de la vie où elle me manque profondément.

C’est terminé, je ne pourrai plus rien faire pour qu’elle revienne. Je viens d’en prendre conscience.

Elle voudrait qu’on soit heureux, tous les deux. Qu’on se reconstruise une vie remplie de bonheur. C’est ce que je veux faire.

Ma mère était une femme formidable, elle nous aimait plus que tout au monde et était prête à donner sa vie pour nous.

Maintenant que j’ai écrit tous ces mots dans un carnet, je me sens libérée. Je vais pouvoir revivre. Enfin.

Je tourne la tête vers papa et lui adresse ces quelques mots : “ Maman était merveilleuse. ”


C’est la première fois que je la mentionne à voix haute à l’imparfait

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Une pluie diluvienne s’abat sur les carreaux à mesure que ses doigts tracent dans le cahier. La pièce est plongée dans une semi obscurité. Seul son souffle apaisé se fait entendre. Les yeux rivés sur

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Ce texte a été écrit par moi, passionnée de lecture et d'écriture!

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